Roulette Espagnole, ou comment un virus mortel devient le gain d’un jeu stupide et dangereux

L’Espagne, ses plages, sa chaleur, son ambiance et ses clopes moins chères. Le Paradis de l’été pour un grand nombre d’entre nous. Mais savez vous ce qu’il se passe dans le recoins sombres de Barcelone ? Je vais vous le dire, et à vous de juger.

Depuis presque un an maintenant, des médecins Barcelonais se sont aperçus que de plus en plus de jeunes venaient se faire dépister pour le virus du SIDA.

Coïncidence ? Simple manque de précaution de cette jeunesse libérée voire dévergondée ? Quelque fièvre estivale ? Confiance aveugle en un partenaire pas très net ? Si seulement c’était aussi simple, il n’y aurait pas de quoi être si affligé.

En effet, c’est un nouveau jeu qui est à l’origine de ces multiplications de tests. Tout le monde connaît le principe de la Roulette Russe, ce jeu psychopathologique qui consiste à charger un revolver d’une unique balle dans le barillet, le faire tourner (le barillet, pas le revolver, sinon c’est pas drôle), pointer le revolver sur sa tempe avant d’actionner la détente, priant pour que la balle ne vous explose pas le crâne. Maintenant que vous visualisez, remplacez le revolver par une orgie non protégée, et la balle par un porteur VIH non identifié ; je vous présente la Roulette Espagnole. En gros, c’est comme se conduire soi-même sur l’échafaud.

Aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, on peut vivre avec le sida, mais le traitement est lourd et ne permet pas de vivre « normalement », mais que des gens sains d’esprit puissent prendre un tel risque volontairement semble inconcevable (dois-je rappeler que le virus détruit les défenses immunitaires et les anticorps ce qui signifie qu’on peut mourir d’un rhume ?)

Ça peut être éventuellement compréhensible, quand on est jeune, on a besoin de repousser ses limites, de foncer tête baissée sans vraiment réfléchir à nos actes, on a besoin d’aller à l’encontre de ce que nos parents nous ont toujours répété, persuadés qu’ils voulaient gâcher nos vies, et après tout, comme dirait l’autre, « on n’est pas sérieux quand on a 17 ans ». On les a entendu, les grands parents, les philosophes, les poètes damnés, nous prévenir que le risque n’est pas toujours payant, même si la vie n’est rien sans un soupçon de frissons. Le problème ici, c’est que c’est davantage de la stupidité que de la rébellion. Ce n’est pas comme si on ne savait pas (à l’instar de la génération de nos parents). On nous prévient, on nous montre, on nous explique, et cela semble désespérément inutile.

Le gouvernement espagnol a eu vent de cette étrange mode, mais il reste impuissant face à ce phénomène. Une orgie n’est pas plus illégale qu’avoir le sida. Est-ce que pour autant il doit rester les bras croisés, à regarder cette jeunesse faire la plus belle connerie de sa vie ? Apparement oui. Et c’est navrant.

C’est étonnant que ce jeu n’ait pas fait les gros titres. Personnellement j’ai vu ça en regardant les infos de la nuit. Bien-sûr, il y a des choses plus importantes dont le monde doit parler, mais est-ce justifié de garder ça sous silence ? Les petits français ne sont pas à l’abri d’une telle vague. La preuve, en 2015, 25% des nouveaux malades du sida avaient moins de 25 ans. Est-ce utile de le réécrire en gras souligné ? Ça ne choque personne ? Avec toutes les campagnes de prévention qu’on peut voir, les interventions qu’on a pu avoir (ou subir, ça dépend, mais ça, c’est une autre histoire), le fait qu’on parle du SIDA en cours, etc. Comment est-ce possible que le nombre de jeunes contaminés ne cesse d’augmenter ? Parce qu’on se sent invincibles, voilà tout. On pense que ça arrive aux autres, mais pas à nous. Que les effets qu’on nous décrit ne sont que des stratagèmes pour nous inciter à utiliser des préservatifs (formule réellement entendue). C’est vrai, en soi, mais peut-être que ce qu’on daigne nous dire n’est pas assez forts pour nous faire percuter. Je pense qu’on devrait nous montrer les choses, nous mettre face à face avec cette réalité, avec l’enfer que peuvent vivre les malades. Je ne veux pas dire par là qu’il faut exposer un malade du sida comme une bête de foire, non, mais à la limite un malade volontaire, ou même un médecin spécialisé sur le VIH, quitte à nous rendre paranoïaques.

Les moyens de prévention ne sont pas assez développés, que ce soit en Espagne ou en France. Une intervention par an (et encore, parce qu’on préfère nous prévenir des dangers de la drogue plutôt que celui des maladies potentiellement mortelles) et trois lignes sur le sujet en SVT ne suffisent pas. Déjà parce que, soyons honnêtes, les interventions, on ne les écoute pas vraiment, mais en plus parce que c’est toujours la même chose avec la même conclusion: « Surtout, protégez vous ! » On peut difficilement faire plus clair et plus bateau. Mais, comme je le dis plus haut, au lieu de nous rabâcher les oreilles avec « La drogue c’est mal » chaque année, les établissements scolaires devraient focaliser leurs efforts à nous inciter à maintenir nos défenses immunitaires où elles sont. Le lycée est parfois le seul endroit dans lequel un adolescent peut parler de sexualité, de contraception et des dangers des IST. Il faut donc penser à ces jeunes-là, qui ne peuvent pas en parler chez eux, peu importe la raison, parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir, comme on dit.

J’avais besoin d’écrire cet article pour défendre cette cause qui me tient à cœur. Je n’ai peut être que mes mots, mais pour ceux qui sont arrivés à la fin de ce lugubre récit, j’espère qu’ils vous auront donné envie de mener ce combat, et qu’ils vous auront permis de réaliser à quel point c’est grave. Je suis restée légère sur mes mots (après 2679 auto-corrections) parce que je ne pense pas que donner des statistiques et des formules puisse aider en quoi que ce soit, ce qu’il faut, c’est en parler, et surtout, prévenir. Comme on dirait chez ActUp*, “Silence = Mort”.

*Association militante de lutte contre le SIDA

Romane Emaër

Illustration : ©Pauline Katz

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